Le 50e anniversaire de l’Institut Laue-Langevin (ILL) ou Plus de 80 ans de course au neutron

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Ce 19 janvier 2017 on a donc fêté le 50e anniversaire de l’Institut Laue-Langevin (ILL), cet institut de recherche scientifique au départ franco-allemand, qui est devenu très rapidement un lieu d’excellence dans le domaine des sciences et technologies neutroniques. Le Réacteur proprement dit est qualifié de à « Haut Flux » (RHF) et il diverge (=fonctionne) pour la première fois en 1971. Les premières expériences sur des faisceaux de neutrons démarrent avec succès dès 1972. En 1973, le Royaume-Uni entre dans l’Union Européenne (Le Britin !) ce qui est une des clés pour devenir dès 1974 le 3e partenaire associé dans un réacteur franco-allemand qui vient de prouver son parfait fonctionnement. Ce n’est qu’à partir de 1987 qu’il s’ouvrira à une douzaine d’autres pays essentiellement européens, tandis que les deux plus un premiers fondateurs conservent les trois quarts des parts.

Mais commençons par le début, avant de jouer avec, il faut découvrir cette particule qu’est le neutron et un certain nombre de ses propriétés.

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Des neutrons quand, où, comment et pour quoi faire !

E. Rutherford découvre le noyau atomique en 1911 puis le proton, la charge électrique unitaire positive, en 1919. C’est encore dans le prestigieux laboratoire Cavendish de Cambridge que l’un de ses collaborateurs, J. Chadwick, mettra en évidence en 1932 une particule élémentaire électriquement neutre d’où son nom de neutron. Il faudra toutefois attendre 1938-1939 avec L.Meitner – O.Hahn du côté germanique et F.Joliot – I.Curie du côté français pour décrire et comprendre son implication dans les réactions de fission en chaîne des noyaux d’uranium 235. Il est le seul isotope naturel d’uranium qui soit potentiellement fissible mais naturellement présent à un taux de 0,7%, selon la filière choisie il doit souvent être enrichi pour pouvoir entretenir la réaction en chaîne. Dans un réacteur nucléaire, les deux ou trois neutrons libérés à chaque fois sont ralentis afin que l’un d’entre eux perpétue la réaction de fission. Faute de différences entre les propriétés chimiques des deux isotopes, l’enrichissement en U235 est difficile à mettre en œuvre. En 1940, G.T. Seaborg à l’Université de Berkeley découvre le plutonium Pu qui peut lui aussi fissionner en chaîne avec libération de neutrons qui vont entretenir la fission et également produire de la chaleur.

Vu le contexte international, l’histoire du neutron sera militaire et il y a donc deux directions, uranium et plutonium, pour parvenir à l’arme nucléaire qui seront explorées dès 1942 dans le cadre du titanesque programme américain Manhattan dirigé par le physicien R. Oppenheimer. E. Fermi et son équipe réalisent la première pile P1 à Chicago qui divergera fin 1942 et conduira à la construction à Oak Ridge, un des sites créés dans le cadre de Manhattan, d’une nouvelle pile en vraie grandeur appelée X-10. Le cœur du réacteur est en fait un empilement (d’où le nom de pile) de briques de graphite-oxyde d’uranium naturel refroidi à l’air. En 1943, trois réacteurs du même type seront construits à Hanford, autre site top secret de Manhattan, pour produire le plutonium de deux des trois bombes atomiques qui seront utilisées en cette fin de guerre. Il y aura d’abord celle du test aux USA, le 16 juillet 1945 et la bombe numéro 2 larguée le 9 août sur le Japon à Nagasaki. A Oak Ridge, en même temps que X-10, E. O. Lawrence commence à mettre en place la spectroscopie de masse pour préparer l’uranium enrichi qui sera à la base de la bombe de Hiroshima.

Après la guerre, le neutron devient producteur d’énergie et de science. C’est ainsi qu’avec l’augmentation de la production de Pu à Hanford, X-10 ne sera plus indispensable et sera reconverti en réacteur de recherche pour faire notamment des études sur des matériaux irradiés. A la sortie du cœur, les neutrons rapides seront alors ralentis de façon à avoir des longueurs d’ondes permettant des expériences de diffraction-diffusion comme, ou plutôt de façon complémentaire aux rayons X ou aux électrons. Selon le type d’élément mais aussi d’isotope, ils peuvent être plus ou moins absorbés par l’échantillon de l’étude. On peut donc ainsi, plus ou moins facilement, s’arranger pour voir la matière en masse et donc pour travailler sur des échantillons de taille réelle. Suite au choc avec les noyaux, outre leur changement de direction, les neutrons peuvent aussi acquérir ou perdre de l’énergie et c’est ce que l’on analyse dans les techniques dites de diffusion inélastique.

Enfin, un dernier point très important pour ne pas dire capital dans cette introduction historique est que le neutron possède un spin qui interagit avec les moments magnétiques des noyaux atomiques de la cible. Autrement dit, le neutron est comme une minuscule boussole capable de voir le magnétisme à l’échelle atomique. Cela se produit également avec les rayons X mais les interactions y sont des milliers de fois plus faibles et il faudra attendre l’avènement plus récent de puissantes sources synchrotron pour que certaines études de ce type deviennent possibles.

Dans les faits, ce sera E.O Wollan, un ancien du projet Manhattan, qui fera le premier spectre de diffraction neutronique en 1945 sur le réacteur plutonigène X-10 de Oak Ridge qui n’était pas prévu pour ça. Dès 1946, c’est avec C.G. Shull qu’il continuera de développer des études par diffraction neutronique. Toujours sur X-10 à Oak Ridge, C.G Shull associé à J.S. Smart fera la première structure magnétique avec des neutrons.

Le magnétisme à Grenoble pendant et juste après la dernière guerre

  On ne peut parler de magnétisme, surtout ici à Grenoble, sans parler de Louis Néel [1], le père du Grenoble scientifique actuel. Ce normalien né à Lyon en 1904 prépare sa thèse à Strasbourg sur le magnétisme dans le laboratoire de Pierre Weiss très en pointe dans la discipline. Il soutiendra en 1932 une thèse à l’issue de laquelle il fait l’hypothèse d’un autre type de magnétisme que le ferromagnétisme de P. Curie ou de son directeur de thèse P. Weiss. C’est à propos de MnO qu’en 1936, Néel postulera l’existence de deux sous-réseaux de moments magnétiques antiparallèles dont la somme est nulle. A l’échelle macroscopique, Un tel matériau ne semble pas aimanté à la différence de substances ferromagnétiques comme le fer, le cobalt ou encore le nickel, mais il n’en va pas de même à l’échelle du neutron comme on le verra plus tard.

Suite au départ en retraite de P. Weiss, Louis Néel est devenu professeur à Strasbourg avant que ne se déclare la guerre le 1er septembre 1939. Lors de l’occupation, il se réfugie à Grenoble où son ami Felix Esclangon, directeur de l’Institut Polytechnique de Grenoble, lui offre de vastes locaux pour faire de la recherche avec une équipe qui va grossir au fil du temps.

Bien que d’abord vichyste, puis italienne à partir de novembre 1942, l’occupation de Grenoble est tranquille et c’est plutôt une bonne chose pour les chercheurs-enseignants réfugiés chez Néel (Louis Weil [2], Jacques Mehring [2] et bien sûr Erwin Lewy Felix Bertaut [3]…). Leurs vies ne deviendront infernales qu’en septembre 1943 avec l’arrivée des allemands et des persécutions anti-juives.

Focalisés ou non sur les thématiques de Louis Néel, ces chercheurs feront preuve d’un exceptionnel savoir-faire, notamment en cristallographie en construisant des machines de rayons X très performantes pour l’époque. Il en ira de même avec les machines électrostatiques de Noël Félici [4] ou encore avec la réalisation d’aimants permanents à partir de poudres fines de fer. Ces derniers travaux sur des matériaux réels feront dès 1941 l’objet d’une coopération avec la société Ugine qui rapportera de l’argent pour faire tourner le laboratoire et aussi payer des chercheurs comme Weil.

La libération arrive et finalement Louis Néel a toutes les raisons de rester à Grenoble. Il y a d’abord des problèmes de susceptibilité humaine qu’il a laissés à Strasbourg. Il y a aussi la cohérence et la qualité d’un groupe de recherche que Néel a bâti autour de lui et qui ne peut être « exporté » à Strasbourg sans parler de tout le matériel expérimental récupéré, acheté ou bâti. Il y aura également l’Université qui lui attribuera (provisoirement pendant 30 ans !) la chaire de physique dès 1945 ainsi que d’autres postes pour la majorité de ses collaborateurs. Il ne faut pas oublier ses travaux avec l’Institut Polytechnique de Grenoble, l’IPG (devenu Grenoble INP) dont il deviendra le président de 1951 jusqu’à 1975. Enfin, il a très vite noué des contacts industriels privilégiés avec Louis Merlin le PDG de la grande société grenobloise d’électricité qui porte son nom, née en 1920. La reconnaissance par un tout jeune CNRS, né en septembre 1939 mais qui n’existera réellement qu’après la libération, finira de structurer le groupe de recherche de Néel. Il s’agira de la création au début 1946 du LEPM, le Laboratoire de d’Electrostatique et de Physique du Métal, le premier laboratoire du CNRS de province, un cas unique dans le paysage scientifique de l’immédiat après-guerre français.
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La création du CENG : Mélusine et Siloé

C’est en octobre 1949 que parait dans le célèbre périodique scientifique américain Physical Review un article de C.G Shull et J. S. Smart intitulé «Detection of Antiferromagnetism by Neutron Diffraction ». La théorie de Néel concernant un magnétisme autre que le ferromagnétisme était donc la bonne. Du coup, Felix Bertaut ira faire plusieurs séjours aux USA et passera même l’année 1953 à Brookhaven où un réacteur de recherche avec des faisceaux dédiés à la diffraction neutronique fonctionne depuis 1950. A son retour, il convaincra aisément Louis Néel de demander la construction d’un réacteur d’étude.

Il faut rappeler qu’à cette époque, le seul réacteur fonctionnant en France est la pile ZOE qui se trouvait près de Paris à Fontenay aux Roses tandis que les réacteurs à venir étaient tous destinés à fabriquer du Pu ou mettre au point les premières centrales électrogènes de la filière française graphite-gaz. Début 1956, Louis Néel obtient la création du CENG, l’actuel CEA-Grenoble, et en devient le premier et unique directeur jusqu’à son prix Nobel en 1970. Il acquiert pour un prix jugé dérisoire les 80 hectares du polygone d’artillerie.

Il n’en ira pas de même lors des acquisitions futures pour installer de nouveaux arrivants dont l’ILL, sur le reste de la presqu’île. Néel le bâtisseur de l’avenir obtient sans trop de difficultés, aujourd’hui on croit rêver, les crédits pour embaucher 250 personnes, construire des laboratoires, des bureaux et bien évidemment le réacteur Mélusine. Cette première pile du type piscine divergera en 1958 et délivrera 1 MW au début avant d’être progressivement portée à 8 MW.

Les grenoblois connaissent la suite, il faut un réacteur plus puissant et ce sera Siloé, une nouvelle pile piscine de 35 MW qui divergera en 1963 et qui est à la fois destinée à faire de l’irradiation de matériaux mais aussi des expériences de diffusion de neutrons.

De Gaulle-Adenauer : les pères politiques de la réconciliation franco-allemande et donc de l’ILL

Ce sont deux grands hommes politiques qui vont permettre la naissance de l’ILL. Il ne s’agit pas moins que du Général de Gaulle revenu au pouvoir en mai 1958 et de Konrad Adenauer, un allemand résistant de l’intérieur au nazisme qui est élu comme premier président chancelier fédéral de la RFA (République Fédérale d’Allemagne) d’après-guerre en 1949. Bien que conduit à démissionner en octobre 1963, il a 87 ans, il est et reste connu comme étant l’initiateur de la réconciliation franco-allemande. De nombreux éléments de géopolitique vont dans ce sens et s’ajoutent à une réelle complicité sinon amitié entre les deux hommes. Cela conduira à la signature de l’accord franco-allemand du 22 janvier 1963 qui couvre un large secteur d’activité, de la défense à la culture en passant par la recherche scientifique.

En fait comme dans nombre de traités politiques de toutes natures, le véritable accord actant la création de l’ILL a été obtenu auparavant, le 15 décembre 1966 et publié dès le 19 décembre. Toutefois, c’est bien le 19 janvier 1967 à Grenoble qu’il sera officiellement signé par les ministres respectifs de la recherche de la RFA (Dr. Gerhard Stoltenberg) et de la République Française (M. Alain Peyreffitte). Bien qu’étant le ministre qui doit aussi initier le programme bombe H, pas de confusion, dans ce projet de Réacteur nucléaire de recherche à Haut Flux (RHF) on cherche tout sauf à faire une bombe A et encore moins H. Mais bon, en tant que soixante-huitard d’époque, je ne résiste pas au plaisir de vous confier que M. Peyrefitte était passé de la recherche à l’éducation nationale et fut donc aux premières loges en mai 68. L’explosion n’est donc pas venue des neutrons mais de cette jeunesse tandis que commençait tranquillement la construction du RHF.

La première bombe H française explosera finalement à Mururoa en août 1968 tandis que les chars russes envahissent la Tchécoslovaquie et que les étudiants les plus sérieux révisent pour passer leurs examens en septembre. Curieuse coïncidence, Konrad Adenauer s’éteindra le 19 avril 1967, soit trois mois, pile bien sûr, après cette signature.

Louis Néel – Irwin Lewy Felix Bertaut et Heinz Maier Leibnitz : les pères biologiques de l’ILL

C’est donc rapidement après l’accord historique de 1963 que se sont engagées les discussions visant à la réalisation d’un réacteur à haut flux (RHF) franco-allemand déjà fortement désiré par chacun des deux partenaires. Inutile de dire que personne n’a une idée du coût réel et la fourchette allait de un à dix mais cela avait été considéré comme un « détail » par les ministres. Là encore on croit rêver mais même si Siloé n’est pas encore entrée en fonctionnement, côté français voire grenoblois, on avait déjà anticipé un réacteur de plus grande puissance, donc bien plus coûteux et totalement à charge. Les allemands quant à eux ne disposent que du seul réacteur d’étude FRM1 de 4MW qui fonctionne depuis 1957 à Münich-Garching. Il a été essentiellement conçu par le grand physicien allemand Heinz Maier Leibnitz internationalement reconnu pour ses compétences en physique nucléaire. Il deviendra le premier directeur allemand du RHF, que l’on nommera ILL car il a semblé bon de mettre en lumière un prestigieux duo scientifique.

Côté allemand ce sera Max Von Laue, le père de la diffraction des Rayons X sur des monocristaux (Nobel 1914) qui, de plus, avait été très fortement opposé au national-socialisme jusqu’à la fin de la guerre. Côté français, avec Paul Langevin on affiche la même dualité car il est à la fois un grand résistant qui décèdera peu après la libération et un grand physicien connu en particulier pour ses travaux sur le para et le diamagnétisme, des magnétismes induits que je ne peux développer ici afin de ne pas trop alourdir ce texte.

C’est donc parti pour l’ILL et bien parti, et comme l’a démontré la signature à Grenoble, il n’était pas question que le RHF aille ailleurs qu’à Grenoble vus le contexte et les compétences locales.

Depuis sa création en 1946, le LEPM s’est beaucoup développé en accueillant de nouveaux chercheurs voire même de nouvelles équipes comme en 1951 celle de Michel Soutif [5] avec plusieurs de ses membres de l’Ecole Normale Supérieure de Paris. Le laboratoire historique va ainsi donner naissance en 1962 à un centre scientifique d’importance, le CRTBT, Centre de Recherche sur les Très Basses Températures. En 1970, il y aura la création du LCMI, Laboratoire des Champs Magnétiques Intenses qui dès 1972 collaborera étroitement avec les allemands du Max Planck Institut.

Les deux concepteurs de grande compétence du RHF que sont Felix Bertaut et Maier Leibnitz travaillent d’autant plus facilement ensemble qu’ils ont des rapports amicaux probablement en partie basés sur leur résistance au nazisme.

 

Felix Bertaut [4] s’appelle en fait Erwin Levy mais né en 1913 en Silésie qui est alors allemande, il n’a pas oublié sa langue de naissance depuis son départ en 1933, il a alors 20 ans. Maier Leibnitz et son épouse sont francophiles et parlent parfaitement le français. Ils se comprennent donc parfaitement et la construction du réacteur démarrée en 1968 ne posera aucun problème jusqu’à la mise en service.

Je voudrais juste évoquer un souvenir datant de février 1970 alors que je n’étais pas encore grenoblois. Les radios venaient d’annoncer « qu’un accident au réacteur nucléaire de Grenoble avait hélas fait 5 morts » sans préciser qu’il s’agissait d’un accident non nucléaire de gros œuvre comme il peut malheureusement toujours s’en produire dans tout bâtiment en construction. Faute de cette dernière précision qui se fit un peu attendre, l’angoisse avait été grande dans toute l’agglomération grenobloise et peut être même au-delà comme je peux en témoigner. Seule une petite plaque à l’entrée du réacteur avec les noms des 5 victimes rappelle la réalité de cet accident.

C’est au sommet de sa gloire dans les années qui suivent son Nobel de 1970, que Louis Néel va quitter le Grenoble scientifique qu’il a créé. Il l’a porté à un tel niveau d’excellence que seule la région parisienne peut rivaliser avec la capitale dauphinoise et cela dépend encore des domaines scientifiques considérés.

C’est ainsi qu’il sera encore indirectement à la base de la venue d’un dernier et talentueux scientifique parisien attiré par les possibilités du tout jeune ILL dirigé côté français de main de maître par le très avisé Bernard Jacrot [2]. On est en 1971 et il s’agit de Philippe Nozières [6] qui y animera le groupe de théoriciens mais qui aussi succédera en 1973 à Néel pour la chaire universitaire de physique avant de devenir académicien puis professeur au Collège de France. Néel devenu donc parisien à temps partiel aura l’oreille de Jacques Chirac et de Giscard d’Estaing lors du lancement du programme électronucléaire français REP (Réacteur à Eau Pressurisée). Il m’a même confié qu’il avait ensuite converti le président Mitterrand à ce type d’énergie.

Pour finir, il jouera aussi un rôle prépondérant dans la désignation de l’ESRF (European Synchrotron Radiation Facility) à Grenoble décidée par Mitterrand à la fin 1984 mais également soutenue par Louis Mermaz. Cet homme politique qui a eu plusieurs fonctions ministérielles et mandats locaux isérois, est de longue date un proche de F. Mitterrand. Une fois de plus Strasbourg va se sentir lésée mais les simples logiques humaines et scientifiques peuvent suffire comme seules justifications à ces deux instruments multinationaux qui ont l’avantage vue leur complémentarité de se trouver aussi près l’un de l’autre.

En fait, ce ne sont pas deux mais trois instituts scientifiques internationaux qui sont regroupés sur le site originel mais élargi de l’ILL. C’est en effet en 1974, juste après que l’ILL ait fait preuve de son bon fonctionnement, que l’EMBL (European Molecular Biology Laboratory) est venu le rejoindre. Un tel regroupement international d’instituts qui fonctionnent parfaitement en toute synergie depuis plusieurs décennies est sans équivalent. C’est ainsi que la liste de prix Nobel passés par l’un, voire l’ensemble de ces instituts est impressionnante, à commencer par l’un des Nobel 2016 de Physique attribué au britannique Duncan Haldane.

L’ILL continue d’augmenter ses performances avec l’installation de nouvelles sources froides en 1985-1987 puis vient le grand arrêt 1992-1994 au cours duquel est remplacée la cuve du réacteur. La remplaçante a été sérieusement améliorée et n’a plus de date limite d’utilisation et c’est ainsi  qu’il va redémarrer, permettant d’autres améliorations et même de créer de nouveaux postes expérimentaux. Avec des gains qui peuvent aller jusqu’à 25 pour certains flux de neutrons, le programme « millenium (2000-2015) » a pleinement rempli ses objectifs. Il est aujourd’hui relayé par le programme « endurance » qui va amener le réacteur à l’horizon 2030.

L’ILL en route pour les années 2030

Malgré 40 instruments en sortie de faisceaux permettant 800 expériences par an, la demande mondiale à l’égard de ces techniques croit, et l’ILL ne peut répondre positivement à toutes. Ceci justifie la construction de nouvelles sources aux USA (SNS) et au Japon (JPARC) mais également la montée en puissance et la mise à niveau d’’anciennes sources, mêmes moins brillantes, réparties un peu partout sur la planète. Il faut toutefois savoir que dans tous les projets modernes l’ILL est pris comme référence et pour un certain temps encore, l’ILL aura une longueur d’avance en particulier dans le domaine des neutrons ultra-froids actuellement très prisés en physique fondamentale.

C’est dans le contexte de cette course à la puissance qu’est prévue l’entrée en service vers les années 2020-2025 de l’ESS, l’European Spallation Source, en cours de construction à Lund en Suède. Au total 16 nations sont encore impliquées dont les 3 partenaires principaux de l’ILL avec le même partage côté français entre le CEA et le CNRS. D’ici là notre fringuant quinqua restera l’une des sinon la source de neutrons la plus puissante au monde avec des expériences toujours plus innovantes. Si vous voulez en savoir plus, allez lire le livre spécialement rédigé à cette occasion et/ou voir et écouter les orateurs de cette commémoration.

En conclusion, amis de l’ILL, vous avez bien fait de lever votre verre à l’anniversaire en pleine santé de ce RHF cinquantenaire. On peut lui prédire que dans le contexte actuel, il n’aura pas droit à la retraite à soixante ans et peut être même pas à soixante-cinq…mais tant qu’on a la santé, où est le problème ?


Notes et liens externes

[1] Louis Néel est évidemment le point central de ce petit texte. On trouve facilement sur internet de nombreux livres et articles le concernant beaucoup plus complets que les quelques lignes que je propose ici à son sujet. J’ai eu de très longues discussions en sa compagnie mais il s’agissait plutôt de bilan et de confidences sur sa très longue et très riche carrière. Il est décédé le 17 novembre 2000.

[2] Louis Weil était le plus ancien collaborateur de Néel puisqu’il était son assistant alors qu’ils étaient encore strasbourgeois. Il a d’abord joué un rôle considérable dans le domaine des très basses températures notamment au sein du laboratoire de Néel. Au début des années soixante il sera le créateur du campus universitaire grenoblois dont il a été le premier doyen. Disparu prématurément en 1968, le campus porte son nom. Ne l’ayant pas connu, je n’ai pu rédiger un portrait semblable à ceux que je mets ici en lien.

Il en va de même pour le grand cristallographe Jacques Mehring d’origine russe qui fuyait lui aussi les persécutions nazies mais qui rejoindra la faculté d’Orléans ans après la guerre.

Bernard Jacrot a été un personnage clé dans le démarrage de l’ILL. Je l’ai certes connu mais je n’ai pas eu la possibilité de l’interviewer dans les années 2000 et il est décédé début 2016.

[3] Personnage beaucoup plus effacé, je tiens là encore à écrire quelques lignes de plus concernant Felix Bertaut que j’ai eu la chance de bien connaître. Je dois en effet beaucoup à ce chercheur-trouveur de très haute-valeur et également pédagogue remarquable, notamment dans la conduite de ma thèse alors que je n’avais pratiquement aucune culture cristallographique rayons X et encore moins en diffusion de neutrons. Il est décédé le 6 novembre 2003.

[4] Bien que moins proche par mes thématiques scientifiques de Noël Félici, j’avais au tournant du siècle tenu à lui donner la parole au même titre que Louis Néel et Felix Bertaut. Son aventure scientifique est ahurissante notamment avec son virage industriel lorsque le chercheur, sur la base de ses avancées scientifiques, crée et dirige la SAMES (Société Anonyme des Machines ElectroStatiques) une société grenobloise qui a depuis fait son chemin. Noël Félici est décédé le 25 août 2010.

[5] Michel Soutif et son équipe de jeunes normaliens est le dernier renfort de poids que Néel attirera à Grenoble avant l’aventure nucléaire. Ce n’est pas pour rien qu’ils vont quitter leur célèbre mentor Yves Rocard (le père de Michel et des bombes A et H françaises) pour rejoindre Néel en 1951. A noter qu’avec le décès de Michel Soutif le 28 juin 2016, Grenoble voit disparaitre le dernier représentant de l’exceptionnel premier cercle de Néel qui a largement assuré sa part dans la construction du Grenoble scientifique actuel.

[6] Philippe Nozières a joué un grand rôle à l’ILL en animant jusqu’à ces dernières années le groupe théorique de l’ILL. La théorie est un pendant essentiel dans un institut qui dans de nombreux domaines a pu faire des premières expérimentales tant dans le domaine des ultra basses températures que des hauts champs magnétiques.


Contexte

J’ai été doctorant à l’ILL de 1975 à 1980 puis utilisateur externe sur d’autres thématiques que celle de ma thèse jusqu’en 1995. Pour en savoir un peu plus sur mon parcours notamment de thésard :

Dans ma vie de chercheur j’ai bien connu de grands chercheurs grenoblois, en particulier messieurs Néel et Bertaut, mais également d’autres alors que j’étais chargé de communication au CNRS Grenoble. Je leur avais consacré quelques articles dans les années 2000 essentiellement dans le Calepin. Il s’agissait du quatre pages mensuel du CNRS Alpes dont j’étais de fait le rédacteur en chef mais aussi parfois dans son équivalent au CEA où j’avais été détaché dans un de ses laboratoires de 1984 à 1999 ou encore le 4 pages de l’UJF. Je n’ai pas pu alors continuer cette série de portraits mais il n’est pas dit que je ne m’y remette pas un jour…

J’ai ensuite fait et fait encore de la vulgarisation scientifique depuis plus de 15 ans.